En 2014, à la suite de mon deuxième épisode dépressif, j’ai pris la route à vélo. De Vancouver au Mexique, j’ai descendu la côte ouest américaine à petites doses (voir « Un vélo dans la tête », Marchand de feuilles, 2014). En plus de marquer ma vie, cette fuite planifiée a favorisé mon rétablissement.
En 2021, après mon troisième épisode dépressif, j’ai participé à un atelier d’autogestion. Dix semaines de rencontres, d’introspections, de discussions et d’exercices. Aujourd’hui, je regarde par-dessus mon épaule et je constate que ces deux expériences ont généré des bénéfices tangibles qui s’inscrivent dans le temps.
Parce que j’ai cette manie d’établir des liens entre deux concepts et d’extraire des métaphores à partir de tranches de vie singulières, j’ai trouvé le moyen de faire un parallèle entre le voyage à vélo et l’autogestion. L’exercice peut sembler bizarre et un peu inutile. Tout comme d’écrire plusieurs lignes à ce sujet. Je sais. Sauf que pour moi, les parallèles m’ont toujours aidé à regagné la ligne droite.
en premier lieu, l'incertitude
Avant de partir à vélo, je ressentais quelque chose comme de l’incertitude.
Serai-je capable de pédaler aussi loin? Mon vélo tiendra-t-il le coup? Est-ce que mon corps suivra la cadence? Ces interrogations, bien que fondées, martelaient ma conscience sans répit. Dès les premiers kilomètres, cette petite peur s’est dissipée comme brume au soleil.
L’autogestion, elle aussi, m’enrobait d’une inquiétude diffuse. Est-ce que ça marche? Est-ce une méthode comparable aux livres « self-help » qui jalonnent ma bibliothèque? Est-ce fait pour moi? Ces questionnements en toile de fond, je me suis inscrit aux ateliers d'autogestion.
Incertain, les paumes humides et les orteils crispés, j’ai débuté la session. La première rencontre entamée, l’incertitude a fait place à un genre de sentiment de contrôle. Comme pour mon voyage à vélo, je me sentais responsable de l’itinéraire, du déroulement de ma démarche, de la gestion de mes ressources. Autonome. À coups d’ateliers, je (re)prenais le pouvoir sur ma vie. Parcourir des routes à vélo ou avancer sur le chemin du rétablissement; du pareil au même.
accessibilité
On pense souvent, à tort, que les voyages à vélo sont réservés aux athlètes. Ou à des aventuriers-en-marge-de-la-société qui sentent l’eucalyptus. Pourtant. L’activité est accessible, universelle et son seul prérequis est de maîtriser l’art de pédaler. Tout le reste n’est qu’une question de rythme et de temps.
Sur la route, à vélo, j’ai salué des baby-boomers aux mollets d’acier, des clochards aux barbes rouillés, des enfants hyper-motivés et des dames semi-bourgeoises férues d’aquarelle. Toutes sortes de monde.
Comme pour l’autogestion, il n’y a pas de clientèle-type. De profils de consommateurs recherchés. Participer aux ateliers ne demande pas une maîtrise en psychologie. Ni une réorganisation complète de sa vie. Ça prend une profonde motivation à se donner des outils et surtout, du courage pour apprendre à se connaître. Bref, un désir solidement ancré de prendre soin de sa santé mentale.
perfectionnisme
À cause de sa beauté sublime, la côte ouest américaine est prisée par le touriste cycliste. À tout moment, je croisais d’autres voyageurs et voyageuses à deux roues. Quand mon regard s’échouait sur ces vrais cyclotouristes, quelque chose comme de la jalousie prenait naissance dans ma conscience.
J’enviais profondément ceux et celles qui semblaient connaître la mécanique de leur vélo et les rudiments logistiques des voyages à vélo. Qui savaient où dormir et quoi manger le midi, le soir et le lendemain. J’enviais les auras de compétence qui émanaient de ces gens qui, selon mon analyse, frôlaient la perfection.
Moi, j’avais chaud et mes poils de jambes me ralentissaient. Mes vêtements dépareillés détonnaient à côté du look recherché de ces « autres » cyclistes. Peut-être à cause de tout ça, le sujet du perfectionnisme, abordé lors d’un atelier, m’a particulièrement parlé.
Cette pression indue qui teinte parfois (ou tout le temps) mes gestes, mes efforts et mes pensées au nom de l’excellence. De cet idéal impossible qui s’est imposé dans ma conscience comme une destination à atteindre, coûte que coûte.
Le sujet, décortiqué et apprivoisé en autogestion, révèle des facettes subtiles que l’on gagne à connaître et surtout à reconnaître. Après des centaines de kilomètres parcourus, entre une intersection et un flanc de montagne, j’ai opté pour la flexibilité plutôt que la perfection.
À ce moment précis, même avec mes porte-bagages surchargés, je me souviens m’être senti plus léger.
s'autoévaluer et utiliser ses ressources
En voyage, je me réveillais tôt. Aux aurores.
Entre deux cafés et un biscuit aux gras saturés, je m’autoévaluais sans trop le savoir. Suis-je fatigué? Mes muscles endoloris et mon cerveau en chou-fleur me permettront-ils de franchir les prochains kilomètres?
M’évaluer pour savoir si mon état me permettrait d’atteindre la prochaine parcelle où planter ma tente s’imposait comme une nécessité. Si la fatigue me tenaillait, je refermais mes yeux quelques heures. Parfois, à la suite de cette autoévaluation semi-consciente, je m’octroyais une journée de congé. Ou quatre.
En autogestion, cette capacité à porter une attention particulière à notre état mentale est cruciale. Elle se développe, au fil des ateliers. Elle se peaufine. Je ne dors pas depuis deux jours, je suis frustré contre les plats Tupperware et je me ronge les ongles jusqu’à l’os? Dans mon cas, ces signes traduisent un état qui précède une descente en spirale. Une côte abrupte sans freins. Surtout, ne pas attendre que ça passe. Ne pas avoir peur d’aller chercher de l’aide.
Avec l’autogestion, j’ai appris à agir dès les premiers signes. J’ai consolidé mon réseau de ressources (amoureuse, médecin, famille, chat) et je sais vers qui me tourner dans les plus brefs délais. J’ai maintenant une carte qui m’indique l’itinéraire à suivre pour ne pas (re)tomber. Pour ralentir dans la côte et pour choisir la prochaine route à suivre. Celle qui ne se termine pas en cul-de-sac.
Ces rencontres hebdomadaires m’ont donné le sentiment d’avoir dans mes sacoches les outils essentiels pour faire face aux imprévus.
à l'infini
Comme ces grands cyclonautes qui passent leur vie sur la route, ces comparaisons pourraient s’étendre à l’infini. Fidèle à mon trouble métaphorique aigue, ce dernier paragraphe met le point final à cette démarche en parallèle:
Je roulais sous la pluie battante. Des crevaisons me ralentissaient. J’ai tenté de comprendre les raisons de ces crevaisons. Tranquillement, j’ai appris à les reconnaitre, à les réparer. J’ai repris la route. Je vivais sous l’ombre de l’anxiété. Des dépressions me ralentissaient. J’ai tenté de comprendre les raisons de ces épisodes. J’ai appris à les reconnaître, à les réparer. J’ai repris mon voyage. J’ai appris à agir.
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Relief souhaite remercier Mathieu Meunir pour son témoignage.
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